Colloque du 23 octobre 2010 Un Patrimoine, un atout ?

 

Pour célébrer les 20 ans de Les Amis des Musées d’Arlon asbl en association avec Wallonia Nostra asbl

 

  • Résumé du colloque par le président de l’association, Gilbert Jungen
  • Les conclusions du Professeur Marco Cavalieri

Pour célébrer les 20 ans de Les Amis des Musées d’Arlon, ce Colloque a été organisé conjointement par les a.s.b.l. « Wallonia Nostra » et les « Amis des Musées d’Arlon » avec le concours actif de la Région Wallonne, de la Province de Luxembourg et de la Ville d’Arlon. Il s’est tenu le samedi 23 octobre 2010 en la salle Ysaye. Le Gouverneur et Président de Wallonia Nostra Bernard Caprasse en a fait l’ouverture devant un parterre de personnalités et quelques 135 auditeurs en donnant comme exemple réussi de promotion du Patrimoine ancien, l’expérience menée depuis 35 ans par la Ville de Martigny (15.000 habitants) et des Fondations initiateurs et moteurs de Martigny-la-Romaine.

Le débat portant sur la valorisation du Patrimoine culturel et historique, la volonté des organisateurs s’est porté sur divers retours d’expériences et stratégies de 3 villes offrant des similitudes patrimoniales et culturelles avec la ville d’Arlon : Bavay (France), Tongres-Tongeren et Dalheim (GD Luxembourg).

Bavay va devenir Bavay-la-RomaineBavay, ville de 3.500 habitants, abrite un forum gallo-romain- complété par un Musée regroupant les pièces trouvées sur le site. Cette ville entretient une relation privilégiée avec son Patrimoine via de nombreuses manifestations dont l’organisation de fêtes gallo-romaines qui drainent, par an, 32.000 visiteurs au Musée ; d’ailleurs, le Maire de Bavay a annoncé sa volonté de changer le nom de la Ville en « Bavay-la-Romaine », annonce qui a rappelé quelques souvenirs aux arlonais présents dans la salle (lettre ouverte du 23 janvier 2007 de Les Amis des Musées au Conseil communal d’Arlon pour changer le nom d’Arlon en Arlon-la-Romaine). Cependant, Bavay ne peut se soustraire aux besoins du XXIème siècle comme la mobilité dans le centre, l’accès aux commerces et la gestion des flux touristiques tout en agrandissant le périmètre du site romain et des fouilles. La collaboration étroite entre le Département du Nord, la Mairie et le Musée est essentielle pour rapprocher la valorisation du Patrimoine et le développement harmonieux de la Ville.

Tonges a homologué son titre de plus ancienne Ville de Belgique Le titre de « plus vieille Ville de Belgique » était réclamé par les Villes d’Arlon, de Tournai et de Tongres. Et bien, cette compétition est désormais remportée définitivement par Tongres. En effet, sous l’impulsion du Bourgmestre et la Directrice du Musée, le nouveau logo de la Ville avec la mention de « Tongeren de oudste Stad van Belgien » est maintenant dûment enregistré et protégé. Ville de 33.000 habitants, Tongres se distingue par son extraordinaire dynamisme en matière de valorisation de son Patrimoine historique. On peut effectivement dire que la ville s’est développée sur base de ses racines historiques et qu’elle sait le rappeler à chacun de ses visiteurs : statue de Vercingétorix, dénominations latines des édifices communaux et des Centres commerciaux. Et les projets de développement sont encore nombreux comme, notamment, l’idée de conjuguer le thème de l’eau avec le Patrimoine ancien.

Les Amis de Dalheim, gardiens de la mémoire et du Site romainQuant à nos voisins de Dalheim, Grand-Duché, Commune de 2.000 habitants, ils nous ont présenté un Patrimoine historique riche : Théatre de 3.500 places, Temple et Termes dont ils assurent la conservation et la promotion. L’a.s.b.l. « Ricciacus Frënn-Amis » mène sa mission de promotion du Patrimoine en se plaçant comme interlocuteur entre le Musée de tutelle de Luxembourg, la Commune de Dalheim et les citoyens. Depuis 33 ans, l’asbl a multiplié les initiatives : premières fouilles avec l’aide d’étudiants, ouverture du site du Vicus au public, négociation avec la Commune pour l’acquisition de terrains de fouille, ajouts de panneaux pédagogiques et didactiques sur les différents sites du Patrimoine de la Commune.

Les Musées Gaspar et Archéologiques enfin subventionnés en 2011 ? MM Philippe Greisch et Raymond Biren ont défendu les couleurs de la Province de Luxembourg et celles d’Arlon, soulignant leur large convergence de vues et leur solidarité dans la valorisation continue du Patrimoine ancien et des Musées d’Arlon : les priorités étant données à la mise en valeur de la 2ème Tour Romaine et à la conformité aux exigences de la Région Wallonne/Communauté Française pour être classés en catégorie B. Les Musées Gaumais, de Piconrue et du Fourneau St Michel ont pris de l’avance et ont déjà obtenus cette classe B depuis 1 an : ils sont donc subventionnés, ce qui n’est pas encore, hélas, le cas pour les 2 Musées arlonais.

Ces diverses expériences montrent clairement : la possibilité de combiner les attentes actuelles de la population et la conservation du Patrimoine ancien. En effet, le Patrimoine bien valorisé et harmonieusement géré est source de développement culturel, touristique et commercial et ce, pour le bien-être de tous les citoyens d’une Ville.
Propos d’ailleurs repris par des démonstrations scientifiques d’un économiste en la personne du Professeur Ost, ancien chercheur à la « Getty Foundation », fondation qui s’occupe de la préservation du Patrimoine culturel mondial. Ce Professeur a effectivement poursuivi dans ce sens en attirant l’attention sur la possibilité de paradoxes pouvant surgir entre la conservation et le développement à outrance du Patrimoine et ce, au risque de le détruire. Ce qui n’est absolument pas le cas dans nos Villes qui sont encore « dormantes » en matière d’exploitation ad hoc du Patrimoine.

La conclusion a été laissée au Professeur Cavalieri : oui le Patrimoine est un atout, particulièrement pour Arlon … mais pour que celui-ci se réalise pleinement, il est impératif, qu’une volonté forte, une stratégie ambitieuse et une synergie en réseau émanent des Autorités, des commerçants, des associations, bref des Forces Vives et, en priorité, des citoyens eux-mêmes qui aiment leur Ville et son Passé. Ce Colloque est né de cette dynamique.

Le Ministre Lutgen a confirmé que la Région wallonne investit chaque année 25 millions € pour la restauration des monuments classés et qu’il veut, dorénavant, donner un nouveau souffle à la politique patrimoniale. Il a clôturé le Colloque en promettant à la Ville d’Arlon un subside de 150.000 € pour la conservation et la valorisation de la 2ème Tour Romaine. Le bonheur compréhensible du Bourgmestre a été partagé, avec enthousiasme, par tous les participants au Colloque.

Après le drink de clôture offert par la Ville d’Arlon, les Autorités et les participants au Colloque ont été visité la 2ème Tour Romaine ; ils ont pu apprécier les commentaires de MM Paquet et Plumier, grands responsables du Patrimoine et de l’Archéologie de la Région Wallonne et du Professeur Cavalieri.

Gilbert Jungen,
président de « Les Amis des Musées d’Arlon » asbl

 

Intervention de Marco CAVALIERI
Professeur d’Archéologie romaine et Antiquités Italique à l’UCL ;
Professeur d’Archéologie des Provinces romaines à l’Ecole de Spécialisation en Archéologie de l’Université de Florence

Conclusions du Colloque

Mesdames, Messieurs,

C’est pour moi un plaisir et un honneur de pouvoir tirer un premier bilan de ce colloque qui, me semble-t-il, a souligné la nécessité contemporaine de percevoir et de vivre l’identité culturelle du milieu où nous vivons à la fois comme source de son passé, c’est-à-dire en tant que conscience de ses origines, et comme moyen de développement économique.

En guise de préambule à ma synthèse, je voudrais vous faire part de ce qui est pour moi la valeur ajoutée des patrimoines culturel en général et archéologique en particulier.

Tout d’abord, la découverte de ses racines historiques, évidentes à Arlon grâce aux traces du passé romain de la ville, devient toujours d’avantage une exigence pour le monde contemporain, soumis chaque jour aux nouveaux défis de la mondialisation et de la rencontre, parfois forcée, avec des cultures et des personnes différentes. La richesse qui découle de ces nouvelles expériences humaines que nous vivons tous au quotidien doit, bien sûr, être abordée avec sérénité et ouverture. Seule une prise de conscience de son origine, de son histoire, même la plus reculée, peut offrir cette attitude, en assurant, à mon sens, la connaissance de son identité, base du respect de l’altérité.
C’est dans cette optique – au-delà de la valeur scientifique évidente – que doit être évalué un colloque comme celui auquel nous participons aujourd’hui : la mémoire historique et ses traces archéologiques sont les garants de l’identité d’une communauté, de la communauté d’Arlon, capable de définir et de renforcer sa connaissance d’elle-même par rapport aux autres et par la prise de conscience de sa propre diversité et spécificité. En outre, nous l’avons bien vu, le patrimoine archéologique peut également fournir une valorisation économique compatible avec la qualité de vie, l’environnement, la protection de la ville et de son territoire ; en bref, réaliser ce qu’on peut appeler un développement économique durable.

Question : Y-a-t-il une modalité, un protocole, dirais-je, à suivre pour atteindre l’objectif d’un compromis entre recherche, patrimoine, conservation et mise en valeur de notre passé, donc du passé d’Arlon ? La question n’est pas anodine et les exemples qui ont été présentés aujourd’hui sont loquaces à ce propos. Atuatuca Tungrorum, Bagacum, Ricciacus sont des sites où les vestiges archéologiques romains ont remarquablement survécu aux affronts des hommes et du temps. Ces villes s’apparentent entre elles non seulement par un passé gallo-romain commun, bien que différent par leur histoire et leur statut administratif antique, mais également par une conscience moderne désireuse d’utiliser ce passé glorieux et distant en faveur du présent.

C’est le dialogue entre science, culture et tourisme qui, me semble-t-il, amène à la réussite de tels projets. Ce dialogue est difficile, parfois pénible, mais nécessaire. De là découle une attitude à la synergie de l’action : une synergie non seulement des gestionnaires de la politique et de la culture, mais également de la base sociale, des personnes qui vivent la réalité quotidienne de Tongres, Bavay et Dalheim. Ce qui, me semble-t-il, constitue en effet le trait d’union ces trois sites, c’est une intégration forte entre politique et culture. C’est cette intégration qui a permis de faire du Musée de Tongres et des vestiges romains de la ville l’attraction culturelle de la région ; la même considération vaut également pour le forum triparti de Bavay et le théâtre de Dalheim.

Il faut toutefois faire attention : le patrimoine en soi, même s’il est monumental, attractif et séduisant, n’est pas un atout. Il est plutôt une tâche à gérer, à administrer, à conserver. Après presque vingt ans passés sur des chantiers archéologiques en Italie, Grèce, Turquie, Slovénie, France et Belgique et après de nombreuses activités de recherche et enseignement dans toute l’Europe, je me permets d’affirmer, je crois en connaissance de cause, que le patrimoine archéologique est un gisement de potentiels culturels, économiques et sociaux, bien sûr, mais il faut savoir l’utiliser. Et il est pour cela nécessaire de se préparer, d’acquérir des compétences, de former les rôles : une réelle activité politique et sociale est nécessaire, soutenue par la conscience d’une communauté qui croit et qui a envie de relever ce défi.

L’éducation est donc le premier pas dans cette démarche : l’éducation à la compréhension et donc au respect de l’Antiquité qui ne présente pas uniquement des ruines, des vieilles pierres ou des tessons céramiques, mais qui constitue la trace d’un passé partagé et l’espoir d’un futur qui peut être meilleur pour tous. Le patrimoine archéologique n’appartient en effet moralement ni à l’individu, ni au collectionneur qui l’a acheté, mais à tous ceux qui savent reconnaître sa valeur, les messages qu’il véhicule, les opportunités qu’il cache.

Afin que le patrimoine d’une ville comme Arlon puisse devenir le vecteur d’une activité de redistribution de culture et benefit économique, les communications de ce colloque ont bien montré que sont nécessaires le respect et l’attirance alimentés par une mémoire et une conscience collectives qui authentifient l’origine, l’identité de la ville : une carte de visite donc pour le visiteur (L’analyse présentée ici est inspirée des communications des intervenants au colloque arlonais et des idées énoncées dans l’article d’Eric JURDANT, Tourisme et archéologie : le retour aux sources, 2004. http:// users.skynet.be/jurdant/articles/index.html).

Quel serait l’intérêt du visiteur d’Arlon ?

  1. une forte intégration de la ville et de son territoire : le musée doit devenir un élément attractif parmi les autres, l’environnement rural et urbain !
  2. un système intégré de visite de sites ou de lieux de la ville et de son territoire.
  3. un parcours qui a pour objectif de mettre en valeur l’identité culturelle du milieu arlonais via l’attrait culturel et naturel.
  4. donc un projet transversal de valorisation, fondé sur une analyse de la réalité et une formation des compétences.

Les communications ont également mis en évidence que :

  1. Le dynamisme et la compétence scientifique d’un conservateur ou d’une équipe bénévole responsable d’un site ou d’un musée ne suffisent pas à satisfaire les exigences d’un système culturel moderne : des aménagements, allant de l’essentiel (accueil, orientation, information) au plus élaboré (espace ou parcours aménagés, illuminations, systèmes de traductions automatisées, système anti-vandalisme, etc.), de même qu’une action promotionnelle s’avèrent indispensables.
  2. A cette situation s’ajoute une concurrence vive entre sites et musées de plus en plus nombreux, en Belgique comme dans les pays limitrophes. L’adaptation aux techniques modernes de gestion et de promotion spécifiques à la promotion culturelle interpelle les responsables, créant un réseau de lieux qui doivent travailler en synergie et non isolément.
  3. Une bonne mise en valeur du patrimoine d’Arlon, si elle alimente l’esprit, doit aussi rencontrer les besoins du corps : zone de repos, sanitaires, souvenirs personnalisés, bref, un ensemble de services destinés au confort d’un visiteur souhaité.

Ces services auront l’avantage de retenir le touriste plus longtemps sur le site, d’exercer une influence sur ses intentions de dépense, de mieux gérer les flux et de diversifier les ressources. Pour réaliser ce projet, à la base il faut un produit simple et riche ! La force du patrimoine d’Arlon réside dans la simplicité de son objet (bâtiments, vestiges, musée, landscape) et dans la nécessité de réaliser un travail d’intégration des différents aspects évoqués. Mais cela ne suffit pas encore : un accompagnement du visiteur est nécessaire afin de l’aider dans cette démarche, en évitant tant le simplisme que l’érudition. Cet accompagnement constitue la valeur ajoutée du patrimoine arlonais, mais il doit être crée, formé : le bénévolat ne suffit pas !

La réussite repose, selon moi, sur trois principes de qualité :

  • qualité des techniques de communication du patrimoine, offrant un subtil équilibre entre le contenu, la forme des messages et leur traduction en plusieurs langues (Arlon ville frontalière), les supports et les techniques de transmission (panneaux, audio, vidéo, dépliants,…) et leur implantation dans l’espace et le temps ;
  • qualité des services d’accueil, d’information et d’animation; leur implantation devra être intégrée.
  • qualité de la gestion, de la communication (marketing) et de la commercialisation.

Des risques sont là, parmi les autres. A mon avis, le plus grave pourrait être la dérive commerciale, et l’oubli de la mission culturelle que le patrimoine véhicule moralement.

Ce risque résume à lui seul l’enjeu d’une action qui vise à promouvoir la culture comme ressource pas uniquement réservée à l’intellect. La mise en valeur et l’exploitation du patrimoine peut réellement être un facteur de développement économique capable de respecter l’histoire (lato sensu) et la nature d’Arlon, de s’inscrire dans une politique de respect de l’environnement et d’être un puissant moyen de connaissance de la culture locale. Mais il faut le défendre de tout intérêt strictement et uniquement commercial qui est souvent la cause de déséquilibre in primis culturel.

Le contenu culturel et la transmission de la culture doit régir la promotion d’un atout patrimonial comme celui qui caractérise la ville d’Arlon et son territoire : il faut pour cela passer d’une conception, permettez-moi, plutôt passive ou érudite de la gestion, à une synergie collective dirigée et motivée d’abord par les dirigeants culturels et politiques locaux, mais également supportée par tous les citoyens. Ce colloque naît de cette dynamique !

Marco CAVALIERI
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